HISTOIRE DE LA MEDECINE ESTHETIQUE
"Une Histoire de la Médecine Morphologique et Anti-âge"
Des papyrus d’Ebers aux lasers, comblements et toxine botulique
Dr Isabelle PAUL-GUENOUN © 2008

8.4 - APPARITION DE SPECIALISATION CHIRURGICALES  chirurgie esthétique

  Au cours de ce siècle, marqués par deux grandes guerres différents domaines de chirurgie spécialisées vont apparaître : orthopédique, digestive, orl, gynéco, ophtalmo, neuro mais aussi la chirurgie plastique et reconstructrice et la chirurgie purement "esthétique" qui sera une chirurgie de la peau et des tissus mous non viscéraux.

               8.4.1 Les premiers liftings du début du siècle

   Le  terme anglo-américain de " lifting " recouvre de multiples interventions dont le but est de remédier à la ptose des téguments, mais aussi aux relâchements musculaires ou aponévrotiques du visage (21), son succès est dû au fait que la détérioration de l'enveloppe tégumentaire du visage, l'apparition des rides, l'affaissement cutanéo-musculaire ont toujours été ressentis comme une perte de séduction, mais aussi comme la matérialisation du début de la vieillesse.
   Grâce au lifting, les chirurgiens disposent d'une arme qui permet de mieux supporter le temps qui passe, de garder confiance et d'avancer dans la vie sans l'obsession de la vieillesse. Avant la 1re guerre mondiale, la chirurgie esthétique est peu pratiquée, les publications sont rares. Les premiers procédés chirurgicaux de "rajeunissamenet" remontent au début du siècle.
   Avant la Première Guerre mondiale en Allemagne, Angleterre, aux USA, plusieurs chirurgiens se lancent dans l'aventure des liftings.
  Le chirurgien allemand Eugen Holländer (1867-1932), élève de James Israël, rapporte dans un article publié l'année de sa mort avoir pratiqué une intervention de lifting sur une aristocrate polonaise en 1901. Il explique avoir cédé à la demande de sa patiente, qui lui avait montré un dessin par lequel elle lui avait prouvé qu'une résection de la peau devant l'oreille pouvait retenir le pli nasogénien et les bords de la bouche.
   Erich Lexer (1867-1937), allemand lui aussi, aurait pratiqué en 1906 une intervention de lifting sur une actrice, comme il le soutient dans un livre paru en 1931. Après avoir réalisé l'excision d'un large lambeau en S dans la région temporale et derrière les oreilles, il a solidement suturé le plan sous-cutané, notamment au fascia temporal, et pratiqué un ancrage périosté dans la région mastoïdienne. Il est intéressant de noter que ce chirurgien a effectué cette opération parce que sa patiente lui avait soutenu qu'elle obtenait un effet " lifting " en utilisant un système artisanal d'élastiques qui remontait la peau du front sur le sommet du crâne.
  Mais  le premier chirurgien à se spécialiser et à publier des livres sur le sujet est C. C. Miller,  considéré par certains comme un précurseur et par d’autres comme un charlatan.

                 8.4.2 La première femme chirurgien esthétique  

À partir de 1913, Suzanne Noël (21)  pratique de petites interventions à visée esthétique et réparatrice sur des patients volontaires à l'hôpital Saint-Louis : ablation de tatouages, corrections d'oreilles décollées. Parallèlement, elle se constitue une clientèle en dermatologie esthétique, et développe une activité de petite chirurgie ambulatoire, dans son appartement de la rue Marbeuf. Suzanne opère sous anesthésie locale, en particulier les liftings du visage, qu'elle réalise en plusieurs étapes au moyen d'une succession de petites incisions, grâce à une instrumentation qu'elle invente elle-même. Cette technique opératoire ambulatoire de liftings a l'avantage de permettre un retour immédiat du patient à ses activités. Elle relate dans son livre l'intervention qu'elle effectua sur une femme médecin de nationalité serbe : " Une femme médecin serbe fut opérée par moi, un soir à 6 heures en toilette de soirée, puisqu'elle dînait à l'Ambassade à 8 heures. Elle eut un succès éblouissant, tous les invités qui la connaissaient attribuant sa plus parfaite beauté à l'admirable robe qu'elle portait. Le lendemain elle partait pour Vienne d'où son mari médecin également me télégraphia quelques jours après : Fils enlevés par moi, résultat merveilleux, reconnaissance absolue !
"

               8.4.3 La première guerre mondiale  : les gueules  cassées (22)dyn007_original_473_464_pjpeg_2565708_aa6f2f290ac73c471c49d20988e15fb1

   Mais la première guerre mondiale éclate, et la chirurgie dite réparatrice va faire un bond avec le traitement des gueules cassées et la création d’unités de chirurgie maxillo-faciale rendues nécessaires par le nombre effroyable de blessés de la face de la guerre des tranchées.
  Beaucoup de ceux qui seront les grands noms de la chirurgie plastique : Blair, Davis, Léon Dufourmentel, Virenque, et surtout Morestin et Gillies opèrent dans ces unités les visages ravagés des soldats. Les chirurgiens britanniques, américains, français et canadiens intégrant à ses finalités une dimension esthétique

La délégation des Gueules cassées à Versailles, le 28 juin 1919.
Au cours de la Première Guerre mondiale, Suzanne Noël à nouveau, apprend des techniques plus lourdes de chirurgie réparatrice en assistant le docteur Thierry de Martel (1876-1940), un des pionniers de la neurochirurgie en France. Elle soigne les nombreux blessés de la face, et acquiert rapidement sûreté et agilité A la fin de la guerre elle reprend ses études puis ne va plus que  se consacrer qu’ à la chirurgieesthétique. Elle pratiquera des interventions variées et téméraires pour l’époque, telles que des liftings, des remodelages de fesses, de cuisses, des dégraissages de l'abdomen et des jambes, des plasties mammaires, des blépharoplasties et des autoplasties.
31- La délégation des Gueules cassées à Versailles, le 28 juin 1919


      8.4.4 Entre deux guerres naissance de la première société française  de chirurgie plastique

   La chirurgie reconstructrice se développe dans plusieurs espaces de spécialités du champ médical (23) : reconstruction faciale, chirurgie de la main, des brûlures, des cancers et des anomalies congénitales, chirurgie orl, orthopédique; les techniques (liftings, rhinoplasties , mammoplasties) s’affinent, elles vont rendre possible l’émergence d’une chirurgie esthétique pure. Le nombre des chirurgiens pratiquant des interventions purement esthétiques augmente rapidement jusqu'à la veille de la 2nde guerre mondiale. Sans toutefois s'y consacrer de façon exclusive, les chirurgiens américains se regroupent au sein de sociétés savantes, privilégiant le développement de la spécialité de chirurgie plastique, laissant souvent la chirurgie esthétique aux mains de charlatans.
   En France, plusieurs chirurgiens font preuve d’une grande créativité : Raymond Passot, élève d'Hippolyte Morestin, rapporte en 1919 une technique que l’on appellera "minilift" avec de multiples excisions de peau ovoïdes, sur le front dans la région temporale et pré-auriculaire, dans la zone de limite du cuir chevelu, avec parfois plusieurs interventions afin de ménager le nerf facial, qui permettait d'éliminer les rides jugales et le pli nasogénien.
   En 1927 un chirurgien américain, Herbert Otto Bames, proposera un véritable décollement cutané. Puis   Passot, Bourguet, Dartigues vont décrire des techniques qui inspireront les interventions modernes. Enfin en 1926, Suzanne Noêl  publiera  un ouvrage intitulé "La Chirurgie esthétique : son rôle social" chez Masson(24), qui fera date comme plaidoyé pour cette chirurgie, dans lequel elle expose ses interventions, illustrées de multiples photographies comparatives, pré et post-opératoires, avec  un enthousiasme débordant, et l'envie affichée de transmettre ses connaissances.
   Cette féministe convaincue estimera que la chirurgie esthétique a un " rôle social " facteur d’intégration dans certaines activités professionnelles   et qu'elle permet des améliorations psychologiques. Sa vision de la chirurgie plastique est claire : elle doit conduire au bonheur.   
Le procès Dujarier que l’on verra par la suite  jettera pour un temps  un discrédit sur la chirurgie esthétique française, mais n’empêchera pas la création de la première Société Française de Chirurgie Plastique en 1930.

             8.4.5  Développement de  la liposuccion apparition de la tumescence

   La Seconde Guerre mondiale entraîne de nouvelles orientations. Après la guerre, les sociétés nationales et internationales de chirurgie plastique, les revues, se multiplient. La Société Française de Chirurgie Plastique naît réellement  en 1952. Puis avec la libération des tabous du corps, la libération sexuelle, les images au cinéma des "pin ups", venues d’outre atlantique , les opérations purement esthétiquement vont faire encore un boom et vont toucher le reste du corps, les seins en 63, avec les premières prothèses mammaires en silicone, la cellulite avec les premières liposucions modernes par Illoutz.
   Nous reprendrons l’histoire brièvement de ses techniques chirurgicales appliquées aux surcharges graisseuses, car elles vont être utilisées par la suite en médecine esthétique au niveau du visage.

                     8.4.5.1   la liposuccion

  Cette idée d’enlever chirurgicalement des masses de graisse localisées n’est pas nouvelle. Dès 1921le Dr Dujarnier en France, utilisa une curette (instrument dont on se sert pour nettoyer l’intérieur de l’utérus), pour enlever de la graisse aux genoux et aux mollets d’une danseuse, qui se trouvait, avec raison, trop adipeuse à ces endroits précis, qu’elle devait exhiber en public. Malheureusement, ce chirurgien blessa une artère importante et la danseuse dut être amputée d’une jambe. Personne n’osa plus tenter l’opération jusqu’en 1964, où un dénommé  Schruddle, reprit l’expérience, toujours sur des jambes et toujours avec une curette. Mais il eut encore une fois, des complications sérieuses d’hémorragies et autres, et il n’osa pas ressayer sur d’autres patients.
   Il faudra attendre Pitanguy au  Brésil pour opérer la culotte de cheval en enlevant un bloc de graisse et de peau, ce qui laissait une large et vilaine cicatrice, mais à condition d’être vêtues, les patientes étaient améliorées. On appellera cela la chirurgie « habillée.
   S’ensuivirent des chirurgiens Italiens, les docteurs Arpad et Giorgio Fisher, père et fils, qui eurent l’idée géniale d’introduire sous la peau par une incision minuscule, un tube de métal, pour retirer les graisses, sans laisser de cicatrices apparentes puis, en 1977 le Docteur Y.J. Illouz, un médecin français, prit l’idée des docteurs Fisher, et remplaça les instruments beaucoup trop tranchants de leur technique, par des canules à bout mousse, avec  la tunnellisation, c’est-à-dire, ce mouvement de va- et vient au niveau de la graisse avec une canule non tranchante, effectuant de multiples tunnels dans le tissu graisseux, lesquels tunnels se vident à mesure, grâce à un tube de plastique transparent, qui relie la canule à un aspirateur.
   En 1981, le docteur Pierre Fournier, un autre chirurgien parisien, eut l’idée de faire des croisements de travées, à l’aide de la canule, ce qu’en anglais on appelle "criss-cross" pour éviter une complication très désagréable, la tôle ondulée, c’est-à-dire des irrégularités de la peau sous forme de vagues qui demeuraient après la guérison, et qui esthétiquement, étaient inacceptable et fit la promotion d’un bandage compressif après la liposuccion, pour tenir les tissus bien en place pour les semaines suivant l’intervention. Il découvrit aussi qu’on pouvait aspirer la graisse sans aspirateur, simplement en faisant le vide dans une seringue. Cette découverte trouvera rapidement son intérêt lorsqu’on souhaite retirer la graisse sans la « brutaliser », en vue de la réinjecter ailleurs, là où il en manque et elle sera à  l’origine des techniques de lipofilling des rides.
   Mais, la liposuccion présentait encore  trois inconvénients majeurs : un saignement excessif, une longue convalescence et de fréquentes irrégularités de la peau, cette fameuse "tôle ondulée". Ces  techniques n’en finiront pas de s’améliorer avec des canules de plus en plus petites, ou des techniques plus superficielles; avec Zoccki, Gasparotti, pour arriver aux techniques d’aujourd’hui ,et elle deviendra l’intervention esthétique la plus pratiquée dans le monde.

         8.4.5.2 - Découverte de la tumescence par Klein

  En Californie, dans les années 1985, le docteur Jeff Klein, dermatologue américain qui avait fait des études en physique, en mathématiques, et en pharmacologie (sur la xylocaïne). Klein a découvert ce qu’on appelle la « tumescence ». Il propose d’infiltrer dans le tissu graisseux de grosses quantités de sérum physiologique, additionné de Xylocaïne, de façon à la rendre "tumescente", entrainant une distension des tissus adipeux et un relâchement des cloisons fibreuses, le résultat étant une meilleure pénétration de la canule dans les tissus graisseux devant être aspirés.
   L'idée de Klein était de diluer la Xylocaïne avec du sérum, et d’étudier quel serait l’effet de cette dilution sur le pouvoir anesthésique du produit. Ses études démontrèrent qu’on pouvait injecter presque 10 fois plus de xylocaïne, sans aucun effet toxique, si on ajoutait à ce cocktail de l’Adrénaline, qui "assèche" la graisse et prévient le saignement, par vaso-constriction, associé à  du bicarbonate pour le rendre moins douloureux, il venait d’inventer " la liqueur de Klein".
  Cette technique fut présentée pour la première fois par le Docteur Klein en juin 1986, au congrès mondial de liposuccion à Philadelphie. Son premier article qui la décrivait en entier, parut en 1987 dans « L’American Journal of Cosmetic Surgery ».

               8.4.6 - Reconnaissance de la chirurgie plastique et reconstructrice

   En France,après une très longue bataille entre chirurgiens pour reconnaître une légitimité à cette pratique considérée comme futile par la majorité de la profession médicale, la chirurgie plastique, reconstructrice  et esthétique, pour les bénéfices psychologiques et sociaux qu'elle apporte aux patients, est reconnue comme spécialité à part entière et fait l'objet d'un enseignement universitaire délivrant un diplôme national d'études spécialisées (DES-DESC) le seul reconnu.