HISTOIRE DE LA MEDECINE ESTHETIQUE
"Une Histoire de la Médecine Morphologique et Anti-âge"
Des papyrus d’Ebers aux lasers, comblements et toxine botulique
Dr Isabelle PAUL-GUENOUN © 2008

  2.4  ROME : Naissance de la médecine esthétique

  2.4.1 SOURCES HISTORIQUES :

   Sénèque   né vers 4 av. J.-C. et mort le 12 avril ap. J.-C.  Philosophe de l'école stoïcienne, dramaturge homme d'État romain du Ier siècle de l'ère chrétienne;
   Pline  l’ancien 23 après J.-C. mort en 79 à Stabia près de Pompéi, lors de l'éruption du Vésuve écrivain et naturaliste romain, auteur notamment d'une monumentale encyclopédie intitulée Histoire naturelle;
   Le poète Ovide, 43 av. J.-C. -7 ap. J.-C.dans le sud de l'Italie.
   Galien le père de la Pharmacie
   Oribase (325-395 Ap.JC) médecin  à la cour de Constantinople.

  2.4.2 La médecine à Rome

  Avant le 10eme siècle av JC, on fait peu de cas du métier de médecin. Les patriciens confient ce soin à leurs esclaves ou leur barbier. Le premier médecin grec venu à Rome serait Archagatos en 219 av JC, puis vint 91 Asclépiade ami de Marc Antoine et Cicéron, qui reprend les méthodes d’Alexandrie, le corps n’est que matières, fins atomes :il fonde le matérialisme.

   2.4.3 GALIEN : naissance de la galénique, du traitement cosmétique

   Au IIe siècle, une des plus brillantes périodes de l’histoire de Rome, règne en politique Marc Aurèle, l’empereur, et en médecine Galien  surnommé « le prince des médecins » Claude Gallien né à Pergame en 129 ou 131, et mort en 21 ou 216 ap.J.-C., est un médecin d’origine grecque, qui exerça dans la Rome antique ; il lança l’approche organiciste, considéré comme l'un des pères de la pharmacie, (la galénique).
   Il rédige des manuscrits qui feront autorité jusqu'à la Renaissance; dans la médecine juive, chrétienne et musulmane, parlant aussi des devoirs des médecins et dans lesquels il y reprend la théorie des Quatre éléments décrite par Hippocrate et  Aristote, le chaud, le froid, le sec, l’humide, d’après lui les maladies dérivent ou de l’altération de ses humeurs, ou des modifications survenues dans l’état même des organes producteurs, la vie humaine se divise pour lui en quatre périodes : l’enfance, la jeunesses ; l’âge adulte et la vieillisse. Il sera cependant plus médecin que chirurgien.
   Il pratique des dissections sur les animaux vivants  le singe, peut être sur des gladiateurs ce qui l’a conduit à quelques erreurs d’interprétation anatomique notamment au niveau du cœur et décrit  les fonctions des muscles et des articulations, les viscères thoraciques, le tronc cérébral. Mais les dissections humaines seront interdites sous Marc Aurèle, et pendant 10 siècles l'œuvre de Galien sera copiée, sans vérification et sans progrès.
   Il instaure la pharmacie galénique de l’époque qui a surtout pour objet d’expulser les humeurs peccantes à l’aide de vomitifs, purgatifs et antiputrides(Système humorisme) et il a permi de comprendre le rôle contaminant des eaux usées, fait installer dans la Rome latrines et fontaines pour la distribution d eau propre, des "valetudinaria" ou établissements de soins sont fondés, premiers hôpitaux connus.
Grâce à lui, les romains ébauchent les premières  règles de santé publique (thermes, eau potable, alimentation)

  2.4.3 CULTE ET SOINS DU CORPS AU QUOTIDIEN : devoir de décence

   Dès la fin de la République, l'homme romain porte une grande attention à son apparence: son corps, né imparfait et inachevé, doit s'éloigner de l'animalité, par l'éducation et l'effort. Ce sera un corps lavé, habillé, maîtrisé, raisonnablement nourri, aux cheveux et à la barbe entretenus. Le mot qui désigne les soins du corps est d'ailleurs cultus qui désigne aussi la culture. Au contraire celui qui n'accepte pas ces contraintes est sordidus, inculte, sale, répugnant. Car soigner son apparence est un devoir à l'égard de soi-même et à l'égard d'autrui. Pline, puis Oribase vont beaucoup écrire sur ce sujet, et proposer de  nombres recettes, mais c’est Galien qui sera à l’origine d’une vraie première cosmétologie médicale

   2.4.3.1 Hygiène, odeurs corporelles

   Les romains  fréquentent régulièrement des installations sophistiquées, thermes, stades, gymnases, ateliers de massage où ils pratiquent bains d’eau, de vapeur, massages, soins.
   Les massages sont pour les romains,  surtout une  détente. Ils ont  cependant dévoyé le massage et lui ont donné une sulfureuse réputation. Bien que le sapo existait (étymologiquement "savon", en latin), il ne s'agissait pas encore de notre savon, mais plutôt d'une teinture décolorante d'origine celtique, à base de suif de chèvre et de cendre de hêtre, on utilisait un strigile, sorte de brosse pour éliminer les peaux mortes et accélérer la circulation du sang.
   Les Romains convenables sont notamment très sensibles aux odeurs corporelles : celle de la bouche et celle des aisselles, ne voulant pas incommoder les autres. Ovide (43 av. - 18 apr.) dans l'Art d'aimer (510-520)(17) veut notamment "qu'une haleine désagréable ne sorte pas d'une bouche malodorante, et que l'odeur du mâle, père du troupeau (le bouc), ne blesse pas les narines. Et quant à la femme, "celle qui a l'haleine forte ne doit jamais parler à jeun, mais se tenir toujours à distance de l'homme auquel elle s'adresse". On retrouve de nombreuses recettes de dentifrice.(18)
   Différentes interprétations de ces pratiques seront faites par les écrivains de l’époque : dans leur esprit anti-grec, certains écrivains comme Sénèque (27 av.JC - 65 ap.JC) (19) ou Martial (40-104) prennent la position contraire: se soucier de sentir bon serait une marque de corruption; celui qui se parfume chercherait à dissimuler l'odeur de corruption de son corps. Ainsi le philosophe dans Ep. 86, 12-13 vante les coutumes hygiéniques peu raffinées des vieux Romains et proclame : "Au témoignage de ceux qui ont rapporté les us et les coutumes de l'ancienne Rome, on se lavait chaque jour les bras et les jambes, tout bonnement, en raison des souillures contractées dans le travail; on ne prenait un bain complet qu'aux jours de marché. Quelle était à ton avis l'odeur de ces gens-là ? Ils sentaient la guerre, le labeur, toutes odeurs viriles…" et (Ep. 108, 16) " interdiction pour toute la vie de se parfumer, parce que la plus exquise senteur du corps est de ne rien sentir". Quant à Martial, il se fait un plaisir de prendre à parti ses contemporains, confondant malignement raffinement et débauche. Il attaque ainsi Fescennia en 87: « Pour ne pas sentir, Fescennia, le vin que tu as bu hier, tu avales sans modération les pastilles de Cosmus. Ces drogues blanchissent tes dents, mais elles restent sans effet quand un rot remonte du fond de ton coffre intérieur. mais que dis-je ? Ne sent-elle pas plus mauvais, cette infection mêlée à des parfums, et, se chargeant d'une double odeur, ton haleine ne porte-t-elle pas plus loin ? Renonce à des tromperies connues de tous et à des subterfuges déjà découverts: sois ivre franchement". Et Postumus en Ep. II 12: "Que faut-il en penser ? Tes baisers sentent la myrrhe et autour de toi flotte invariablement une odeur étrangère. Ceci m'est suspect, Postumus, que tu sentes toujours bon. Postumus, il ne sent pas bon celui qui sent toujours bon. »
   Si les grecs n’ont pas honoré les intentions spirituelles égyptiennes relatives aux huiles et parfum, ils sortent de leur contexte ses produits issus de la magie : médecine, pharmacologie et produits de beauté ont été combinés avec la science, c’est la première fois que la religion abandonne ses substances à la science, et la beauté  entre dans le quotidien sans caractère mystique ou sacré. Les routes  commerciales avec l’orient prospèrent par demande croissante de narcisse, safran, mastic, mousse de chêne, cannelle, cardamome, poivre, muscade, gingembre, épices herbes médicinales, des parfums capiteux sont créés.  

   2.4.3.2 Soins de la peau, maquillage  importance du teint pâle et fardé, mais prise de conscience de la nocivité de certains ingrédients

  Les romaines accentuent la blancheur du teint grâce à de la craie ou du blanc de céruse. Toutefois, ce matériau issu du plomb n’est pas sans danger pour la santé, et Galien, en dénonce la nocivité.
  Dès le IIème siècle après J-C, c’est le khôl ou la suie qui sont préférés. Elles savent donner de l’éclat aux regards et épaissir les sourcils avec un trait sombre sous les yeux pour les rendre plus grands  avec de l’antimoine pulvérisé et du noir de fumée; on rougit les joues avec de l’orcanète plante herbacée dont la racine fournie un pigment rouge ou de la mûre écrasée, de l’ocre issu d’une espèce de lichen (fucus) ou encore de mollusque. Les tempes sont bleuies grâce à des crèmes colorées. On collait sur les visages de petites rondelles d’étoffe destinées à cacher les imperfections d’une peau disgracieuse ou au contraire à en rehausser l’éclat. On nommait ces dernières les "plenia lunata".
   Toutes sortes de colorants sont utilisés dans la confection des fards. On les délaie, on les mélange dans de petits récipients. La substance de base était issue du suint de la laine : l’oepysum. Il faut ensuite les colorer: Pline(20), Histoire naturelle, Livre XXXV, §32, 37 Edition Nisard, édition J.J.Dubochet, 1850 : "Les pigments chez les Anciens ne sont pas seulement des matériaux destinés à la peinture, la diversité de leurs usages est étonnante".
   Ainsi, Platon utilise souvent pour désigner la couleur le terme de « pharmakon », par exemple dans la République, 420c 
: "Si donc nous étions occupés à peindre une belle statue, et que quelqu’un vînt nos blâmer de ne pas employer les plus belles couleurs pour les plus belles parties du corps [...] nous nous défendrions sagement en lui tenant ce discours... " (traduction de Robert Baccou, Paris, GF, 1966). Le terme traduit par « couleur » est ici "pharmakon". Or les premiers sens de ce mot sont « toute substance au moyen de laquelle on altère la nature d’un corps » et « toute drogue salutaire ou malveillante » (Bailly). Par suite il peut s’agir aussi bien d’une drogue médicinale que d’une potion magique, ou d’une drogue pour teindre, la peinture, le fard. Par ce terme, Platon indique surtout la valeur négative de séduction de la couleur (" pharmakon" désigne aussi le maquillage égyptien), mais il témoigne aussi de ses multiples usages : c’est au sens propre que la couleur est un pharmakon, une drogue aux multiples vertus.
   L’Histoire Naturelle de Pline, elle, rend compte de la diversité des usages des pigments, dans de multiples registres de savoir-faire, en particulier cosmétiques et médicaux.
   Les onguents liquides se conservaient dans de petites fioles de fine céramique souvent richement ornées, ou encore dans de petits flacons de verre tels les albastres (de forme allongés) et les aryballes (de forme sphérique) : ces derniers l’étroit goulot qui s’achevait en disque élargi permettait d’étaler goutte à goutte le parfum ou le fard. Des boîtes rondes contenaient le maquillage, plus épais, où on le prélevait au pinceau. Chaque dame possédait son "alabastrothèque" et son nécessaire à maquillage, enfermé dans un coffre ouvragé. On retrouve des traces de l’existence du "Cold Cream" dans la littérature Romaine, en 200 AC
   Un article paru dans Futura Science ( 8/11/2004), met encore une fois l’accent sur l’évolution des fards, élaborés avec des substances moins nocives après la découverte à Londres, sur le site d’un temple romain du milieu du IIeme siècle, (‘150 ap JC), un pot en étain pratiquement intact, contenant une crème blanche légèrement granuleuse qui avait traversé les siècles grâce au couvercle de la petite boîte resté hermétiquement clos. Le biochimiste Richard Evershed et son équipe, de l’université de Bristol, ont mis en évidence trois ingrédients majeurs : de la graisse animale provenant de bovins ou d’ovin, de l’amidon utilisé de nos jours dans les cosmétiques pour en diminuer l’aspect gras, de l’étain, Ce dernier prouve qu’il s’agit d’une crème de beauté et non d’un onguent ou d’un médicament, ce métal ne faisant pas partie de la pharmacopée romaineJPEG - 6.8 ko, son rôle devait être celui d’un pigment blanc. Une version synthétique de cette crème  a été réalisée et testée. Son application donne une sensation de gras vite remplacée par un résidu blanc,poudreux et très doux. Ce produit, qui devait être utilisé comme fond de teint, donnait donc aux femmes le teint très pâle à la mode à cette époque, l’acétate de plomb était fréquemment utilisé pour obtenir cette pâleur recherchée mais ses effets néfastes sur la santé commençant à être connu au II ème siècle, l’étain a sans doute été le produit de substitution idéal. De plus on le trouve en grande quantité en Cornouailles, pas très loin de Londres, sous forme de cassitérite (SnO2) qui pouvait être directement incorporé à la crème.
12- Pot de crème romaine retrouvé à Londres et , à droite, la version fabriquée par les chercheurs. (Bristol)

   Ovide va décrire plusieurs recettes pour  traiter les tâches (21) :"Apprenez donc comment vous pourrez, au sortir du sommeil, donner de l’éclat à la blancheur de votre teint. Dépouillez de sa paille et de son enveloppe l’orge que nos vaisseaux apportent des champs de la Lybie(3), prenez-en deux livres et détrempez-le avec de l’ers, en égale quantité, dans une dizaine d’oeufs. Quand ce mélange aura été séché au grand air, faites-le broyer par une ânesse sous une meule rocailleuse. Pilez ensuite de la corne de cerf, de celle qui tombe au commencement de l’année, et mettez-en la sixième partie d’une livre. Quand le tout sera réduit en farine bien menue, passez-le de suite dans un tamis creux.
   Ajoutez-y une douzaine d’oignons de narcisse, dépouillés de leur écorce, et qu’une main vigoureuse écrasera dans un mortier de marbre; puis deux onces de gomme et d’épeautre de Toscane, et dix-huit onces de miel. Toute femme qui appliquera ce cosmétique sur sa figure, la rendra plus polie, plus brillante que son propre miroir.Faites aussi griller ensemble de pâles lupins et des fèves venteuses, six livres de chaque, et broyez-les ensuite sous la meule ; ne manquez pas d’y ajouter de la céruse, de la fleur de nitre rouge, et du glaïeul d’Illyrie (4), puis, donnez le tout à pétrir à des esclaves vigoureux, et que la matière ainsi pétrie ne pèse pas plus d’une once. En joignant à cette composition du ciment extrait du nid des alcyons (5) plaintifs, et que l’on appelle pour cela alcyonée, vous ferez disparaître toutes les taches de votre visage. Si vous me demandez combien il en faut : la valeur d’une once divisée en deux parties. Pour lier entre elles ces substances différentes, et en faire une pommade onctueuse pour le corps, ajoutez-y du miel brut de l’Attique"
.


    2.4.3.3 L’épilation

   Les pratiques dépilatoires sont entrées dans les moeurs; les jeunes hommes de la bourgeoisie romaine, aiment se faire épiler les jambes, mises en valeur par la tunique courte, certains allant jusqu’à  l’épilation intégrale, comme Auguste en 63, et Poppée, la compagne de Néron. Poitrine, aisselles, jambes, bras, lèvre supérieure, nez, étaient épilés selon des écrits retrouvés dans les ruines de Pompéi
  Les pratiques concernant les adolescents à Rome sont décriées mais resteront utilisées par les marchands d’esclave. Les recettes populaires relatées par Pline et Oribase allaient du brûlage avec des coquilles de noix incandescentes, à l’arrachage, par préparation a base de résine de pin, épilation des sourcils au sang de chauve souris, certaines resteront utilisées jusqu’au moyen age. Pline l’Ancien au livre XXXV de ses Historiae Naturales, raconte  : " pour empêcher les aisselles des enfants de se garnir de poils , il lfaut les leur frotter avec des œufs de fourmis, de même les marchands d ‘esclaves, pour relater la naissance des poils chez les adolescents, les frictionnent avec le sang des testicules d’agneaux qu’on châtre. Ce sang, appliqué après l’épilation, en combat aussi les odeurs". Il livre le secret du Melinum...§ 37. "Melinum candidum et ipsum est, optimum in Melo insula. In Samo quod nascitur, eo non utuntur pictores propter nimiam pinguitudinem ; accubantes effodiunt ibi inter saxa venam scrutantes. In medicina eundem usum habet quem Eretria creta ; praeterea linguam tactu siccat, pilos detrahit smectica vi".
   Oribase décrit l’utilisation de la sève de vigne en onction, la liqueur des sarments verts,la farine de fève.
   Galien (22) restera dubitatif sur ces méthodes  et estimera qu’ont menti "ceux qui ont écrit que le sang de chienne empêche la repousse rapide des poils", mais dans son approche cosmétologique comme nous le verrons, il reprendra certaines croyances populaires en particulier avec les bulbes de Hyacinthe ou de fève en essayant de les expliquer.

  2.4.4 Naissance de la médecine esthéthique  avec Galien et de sa  problématique

   C'est donc avec  Galien que le problème de l'esthétique physique entre véritablement dans le domaine de la médecine(23). Selon ce médecin beauté et santé vont de pair. Plus précisément la beauté, est l’un des ses attribut essentiel et fait partie de la santé. Mais le médecin capable de reconnaître la vraie nature de chacun à travers son corps, doit pousser le « client » à rester à sa vraie place dans l’ordre du monde, ou a la reprendre s’il l’a quitté. Or chacun a le devoir d'entretenir sa santé, donc aussi sa beauté.
   Il hésite lorsque le patient ou son entourage lui demande d'intervenir dans le domaine esthétique, mais ces pratiques ne lui posent pas de problèmes lorsqu’elles sont destinées à empêcher, retarder, corriger ou atténuer le vieillissement, considéré non pas comme une maladie, mais comme un phénomène de la nature, surtout  à la puberté, au début et au cours de la vieillesse. 
  Il va s’intéresser à la dépilation, aux signes de vieillissement (gérocomie) de  la peau et des cheveux dans de nombreux traités descriptifs et galéniques (De temperamentis), et dans des commentaires de l’œuvre d’Hippocrate (In hipocratiis de natura hominis). Avec Galien, le médecin comprend le désir de son client de ne pas choquer autrui par son apparence, de ne pas inspirer le dégoût; il accepte d’intervenir, même si ce n’est pas de sa compétence au sens strict, contraint et forcé par la clientèle, avec un certain sourire et s’amuse si ce sont des femmes d’âge murs qui le presse "beaucoup de femmes vieillissantes se teignent les cheveux comme si c’était honteux de les avoir gris.. et cela semble bon à leur mari, qui disent qu’il est désagréable d’avoir pour épouse une vieille femme a la tête grise Quant aux femmes qui s’arrangent pour leur propre plaisir, à celles là je n’ai rien fourni …a celles qui plus respectables cherchent à éviter d’être remarquées et a se mettre a l’abri des reproches de leur mari, et qui ont recherché à se noircir les cheveux, mais sans le danger que font courir les teintures à base de caustiques, j’ai conseillé l’huile de cèdre, le kedrie, qui retardent la venue des cheveux gris sans faire de mal …je sais que des femmes ce sont mises en danger, et sont mortes pour s’être refroidi la tête avec des préparations, tombant en apoplexie, en épilepsie, en cataphore, ou en léthargie, en carus ou en engourdissement, en catalepsie.. »


  Pour éviter les accusations de futilité, Galien essait de se faire comprendre : "L'inutilité des plus beaux hommes, lorsqu'ils ne possèdent aucune des autres choses utiles à la vie. La beauté n'est même pas utile pour s'acquérir des richesses, s'il est vrai qu'il y a de mauvais génies pour oser le dire. En effet, c'est l'art qui fait le gain digne d'un homme libre, honnête et sûr. Mais le gain qu'on tire de son corps et de sa beauté est honteux et en tout point indigne. Il faut donc que le jeune homme, suivant le vieux précepte, regarde sa propre apparence dans le miroir, et, s'il se trouve beau à voir, s'exerce à ce que belle aussi soit son âme, en pensant qu'il est absurde d'abriter dans un beau corps une âme laide. Mais s'ils e trouve lui-même laid quant à l'aspect de son corps, il faut qu'il s'occupe d'autant plus de l'aspect de son âme" .
  Selon lui, si l'ordre du monde et donc le bon ordre corporel comporte la beauté, si le patient demande une intervention, le médecin agira, et par fidélité à ses principes et pour faire plaisir à sa clientèle.

  Dans le traité De l'utilité des parties (trad. Daremberg, XI 8, I p. 667-668), Oribase  écrit: "Supposez une seule modification dans les dents, vous verrez aussitôt leur utilité anéantie. Changez la disposition des dents, et voyez ce qui en résultera. Supposez que les molaires soient situées en avant, les incisives et les canines en arrière et examinez quelle serait encore l'utilité de ces dents, quelle serait celle des dents larges."
   S’intéressant à l’esthétique de la bouche il proposera d’abord des mesures préventives, des soins chez le dentiste pour traiter les dents gâtes ou des dentifrices, il écrit :" le vieillard qui les a conservées les a noires ou complètement cariées. Pour éviter les caries, il aurait dû refuser les aliments qui ne sont pas profitables aux dents, comme les figues sèches ou le miel cuit, (...), les dattes (...) et toutes les substances glutineuses. Si le gourmand n'a pas résisté à la tentation, l'art balbutiant du dentiste fera peut-être quelque chose pour lui, mais la cosmétologie n'y peut pas grand- chose. Tout au plus, si les dents sont devenues noires, le médecin qui s'intéresse à la cosmétique pourra-t-il encore proposer quelques dentifrices, bien peu différents de ceux que nous connaissions déjà : la cendre un peu grosse des huîtres, des buccins, des pourpres, la pierre ponce, les têtes de fourneau blanchissent les dents. Si l'on brûle ces substances avec du sel, elles font encore plus d'effet sur les dents, en même temps qu'elles dessèchent les gencives très humides. L'os de seiche non brûlé et pilé donne aussi de l'éclat aux dents. La corne de cerf ou de chèvre blanchit les dents et tarit l'humidité des gencives."
   Il n’aura aussi de cesse par exemple  de vouloir traiter les cicatrices oculaires des enfants avec des méthodes toutefois dangereuses, toutes fois ses cold cream sont encore utilisées aujourd'hui,
   Connaissant ses positions sur l'esthétique médicale, on comprend l'importance qu'accorde Galien à la physiognomonie, cette fausse science particulièrement en vogue au IIème siècle de notre ère, qui croit pouvoir mettre en rapport le caractère de l'individu et son apparence physique. En tant que médecin des corps, Galien est extrêmement sensible à l'influence qu'exerce sur l'état de l'âme celui du corps, ainsi que, plus indirectement, la prise de médicaments, l'alimentation, le contexte écologique. C'est dans le Quod animi mores que Galien expose cette doctrine, inspirée notamment par le traité hippocratique Airs, eaux et lieux. L'action médicale sur les humeurs du corps perturbe inévitablement l'état de l'âme et les apparences physiques.
  Les traités grecs de physiognomonie ne sont que très fragmentairement conservés, mais un traité latin (éd. Budé 1981) draine une longue tradition. Celui-ci évoque  les lèvres et la bouche. "Les lèvres minces dans une grande bouche, si la lèvre supérieure est légèrement plus saillante, comme si elle surplombait la lèvre inférieure, indiquent la noblesse et le courage: c'est le type du lion. Le meilleur type de bouche est celle qui n'est ni trop saillante ni trop plate... Quand les lèvres ont soulevées par les dents que les Grecs appellent kunovdonte" (canines), c'est l'indication d'un esprit médisant, irascible, braillard et prompt à commettre des actes injustes... Les lèvres qui pendent mollement trahissent le manque d'énergie. Ce signe se trouve chez les vieux ânes et les vieux chevaux. On évitera ceux qui ont un tout petit menton, car ils sont par-dessus tout cruels et insidieux: c'est le type des serpents."(52)
   Selon D Gourevitch (16) Galien a voulu établir les principes d'une médecine esthétique dans un rapport logique avec ses théories physiologiques. Il a particulièrement cherché à les appliquer dans la lutte pour retarder le vieillissement. Cependant il a échoue pour trois ordres de raisons :

  1 - Il y a un très grand nombre de connaissances qu'il n'avait pas et ne pouvait pas avoir: ainsi il n'a pas les moyens de ses ambitions.
  2 - Malgré certaines réticences intellectuelles, il se laisse entraîner, sous la pression de la clientèle, à prescrire parfois des remèdes magiques traditionnels. Ou guère mieux,
" à cause du caractère répandu de ces pratiques, il arrive parfois que des femmes de la cour et que des princes eux-mêmes exigent de nous des interventions relevant de la commôtique; comme il ne nous est pas possible de refuser à ces gens-là, nous expliquons que la commôtique diffère de la partie cosmétique de l'art médical ..….je viens de dire qu'à mon avis un médecin ne devrait pas s'occuper de pareils produits, mais comme il arrive que des femmes de la cour, à qui il n'est pas possible de refuser, veuillent se teindre les cheveux en noir ou en blond, je pense que c'est pour cette raison qu'Archigène, homme pieux s'il en fut, écrivit là-dessus."
  3 - Surtout, il est gêné par le cadre moral et intellectuel qu'il s'est lui-même tracé, celui de l'opposition entre cosmétique et commôtique (dont de la grand maître fut Criton), et qui pour lui n'est pas permise : c'est l'art d'arranger les gens, et même de les camoufler en quelque sorte; on risque alors de ne plus savoir à qui l'on a affaire, de ne plus reconnaître les identités authentiques, ce qui contrevient au bel ordre du monde.
   Le fait qu'il ait pu écrire qu'aux femmes qui veulent être belles pour leur propre bonheur il ne faut pas apporter d'aide, alors qu'il faut aider les braves épouses qui ne veulent pas, par une apparence trop médiocre, faire baisser le "standing" de leur maris  est effectivement choquant aujourd’hui du point de vue éthique pour un médecin  Galien écrit (23): "La commôtique a pour but de produire une beauté artificielle, mais celui de la partie de la médecine appelée cosmétique est de conserver tout ce qui est conforme à la nature, but dont la beauté naturelle n'est qu'une conséquence. Dans ces quatre livres, Criton a mis tous ses soins à donner par écrit la liste d'à peu près tous les produits cosmétiques dignes d'être notés; et il leur a même ajouté les produits commôtiques, qui apportent une beauté empruntée et non une beauté authentique. C'est pourquoi, quant à moi, je laisserai de côté ces derniers, et je mentionnerai seulement ceux qui conservent la beauté naturelle. En effet, même si je connais parfaitement bien les produits qui blanchissent la peau du corps, ceux qui préservent le plus longtemps possible les seins des jeunes vierges, ceux qui conservent aussi tard que possible de petits testicules aux jeunes gens impubères, ceux encore qui empêchent la pousse des poils, j'ai honte cependant d'écrire sur de pareils produits, et plus encore sur les cataplasmes de plantes aromatiques pour les vêtements, dont Criton a dressé la liste; les teintures parfumées pour les vêtements; les aspersions pour les chambres et les portiques; les variétés de toutes sortes de parfums, onguents et huiles parfumées. Ces produits en effet sont étrangers à l'art médical. Mais lorsque Criton a décrit des préparations destinées à conserver la beauté naturelle, si l'occasion s'en présente, j'en ferai mention... "
   Ainsi la cosmétique rend à chacun sa vraie beauté si celle-ci a été altérée par les vicissitudes de l'existence. Cette vraie beauté et l'ordre du monde portent tous deux le beau nom de "kovsmo": c'est là le vrai champ du médecin. L'autorité de Galien et la hauteur de son ambition philosophique lui permettent donc de fonder en droit la médecine esthétique. Ce fut là une des acquisitions les plus avancées de la déontologie médicale de l'Antiquité.
   Mais cette rigueur morale, alliée à une pointe d'anti-féminisme, allait  porter en elle-même les limites de cette branche de l'Art. On ne pouvait s'attendre qu'à l'époque post-galénique, quand la médecine devint essentiellement une affaire de compilation, cette spécialité "de confort" pût faire de grands progrès. Mais elle se survit tant bien que mal. Et c'est ainsi qu'Oribase, au Vème siècle, reprendra et approfondira les principes de Galien.
   On retrouvera chez lui des techniques de traitement des rides et des taches de la peau chez le vieillard dans des vieilles recettes qui empêchent de désespérer " Une vie enjouée et une alimentation douce diminuent la pâleur du corps; on mêlera aux aliments des radis, des poireaux et des pois chiches verts. Le suc de grenade d'un goût sucré donne aussi une bonne couleur quand on l'avale. C'est encore un bon remède que de l'huile dans laquelle on fait bouillir pendant longtemps de la racine de couleuvrée. Ce remède rend aussi le corps ferme et luisant. On mêlera aux détersifs dont on se sert dans le bain des pains faits avec quelque farine détersive, des bulbes de narcisse et de la racine de couleuvrée. La racine de l'amandier aux fruits amers et ces fruits eux-mêmes donnent aussi une bonne couleur à qui peut de les procurer, s'il les fait bouillir dans l'eau qui lui sert pour le bain."

13 - activités sportives dans les thermes romains, Villa romaine du Casale, en Sicile,  III ème ap JC